vendredi 4 septembre 2009
Quote #11 : Tranche de vie
Par mezzo, vendredi 4 septembre 2009 à 11:34 :: Quotes
« Docteur ! » s'écria soudain un dénommé
Tsukada, assis à coté de moi, dans un restaurant.
À ce mot, le cuisinier, un couteau à la main,
leva la tête et cligna de l'œil dans ma direction
pour me signifier que cet homme était connu
dans l'établissement à cause de son penchant
pour l'alcool.
Je lui répondis discrètement et adressai à
l'intrus un faible sourire en demandant d'un
ton peu engageant :
« Vous désirez ? »
Puis je cherchai des yeux un siège vide avec
l'intention de changer de place au cas où Tsu-
kada m'importunait davantage.
« Vous êtes bien médecin, n'est-ce pas ?
Quelle est votre spécialité ? »
Le ton de sa voix était arrogant alors que
nous nous croisions seulement de temps en
temps dans ce restaurant.
« Je suis psychiatre.
- Alors vous vous occupez des névrosés ? »
demanda-t-il, et il me dévisagea en plissant ses
yeux bilieux. Son regard, à la fois maussade et
triste, était le même que celui des patients qui,
pendant la première consultation, me testent
avant de confier les tourments de leur âme.
« Un psychiatre peut aussi savoir ce qui se
passe dans le corps, non ?
- Oui, j'ai étudié cela à l'université...
- Alors je vais vous poser une question. Ces
temps-ci, j'ai un peu mal ici, quelle en est la rai-
son ? »
D'une façon ou d'une autre, comme je suis
médecin, les gens me surprennent parfois en
m'interrogeant ainsi, même en dehors de l'hô-
pital. Sans examen, il m'est impossible de don-
ner un diagnostic, et en outre c'était le seul
jour de la semaine où, afin d'échapper à l'an-
goisse de mes patients, je m'accordais un verre
de saké. À vrai dire, l'agacement devait se lire
sur mon visage. Mais à ce moment-là les paroles
du professeur Gessel, mon mentor lors de mes
études à l'université américaine de Stanford en
tant que chercheur étranger, huit ans aupara-
vant, me revinrent brusquement à l'esprit.
« Être médecin ne constitue pas une profes-
sion, c'est la même chose qu'être prêtre, avec
la mission de porter la misère du monde. »
Shûsaku Endô - Le dernier souper